Retour à Reims aurait pu être un récit. Il en a souvent l'allure, et l'attrait. Fils d'ouvrier, ayant rompu avec sa famille, sa ville natale et son milieu, pour devenir un intellectuel renommé, Didier Eribon peut se rendre à nouveau chez ses parents - il n'a même jamais vu leur maison - dès l'instant où son père, atteint de la maladie d'Alzheimer, doit être placé dans une clinique. Puis son père meurt. Il ne va pas aux obsèques, pas plus qu'il ne s'est rendu, auparavant, au mariage de ses frères. Cela fait trente ans qu'il ne les a pas vus. Il a eu des nouvelles par sa mère, et celle-ci lui montre des photos lorsqu'il vient la voir, le lendemain de l'enterrement. S'il prend contact, au moins avec l'un d'entre eux, plus jeune, c'est par l'intermédiaire du courrier électronique, afin de recueillir des éléments pour son enquête.
C'est que «l'émotion inattendue» suscitée en lui par la disparition d'un père longtemps détesté a enclenché un travail de mémoire et de réflexion tout aussi imprévu. «Il m'avait engendré, je portais son nom et, pour le reste, il ne comptait pas pour moi», dit-il de cet homme à qui sa mère vouait «un mélange de dégoût et de haine» depuis leur mariage en 1950, sans pour autant le quitter ni l'abandonner dans ses derniers instants. N'était-il pas «violent et stupide», ne s'était-il pas comporté en «tyran domestique» ? Raciste, homophobe, il fut le «contre-repère» parfait dans l'apprentissage de