Futurologues et pékins en sont certains : phagocyté par Internet, rendu obsolète par le e-book, le livre va disparaître, et on conservera quelques spécimens de lecteurs dans une réserve indienne. Ce n'est pas l'avis de Jean-Claude Carrière et Umberto Eco, tous deux bibliophages et bibliophiles, qui, dans N'espérez pas vous débarrasser des livres, montrent que le livre de papier («peau de dieu» disait-on) participe en lui-même d'une perfection, qu'il est «comme la cuiller, le marteau, la roue et le ciseau» : «Une fois que vous les avez inventés, vous ne pouvez pas faire mieux.»
L'hommage fait au livre, à la culture, reçoit ici sa force de la «légèreté» avec laquelle les deux honnêtes hommes conversent, voyagent dans leurs souvenirs, leurs savoirs, les anecdotes, des histoires parfois farfelues, passent de l'évocation d'un auteur oublié à l'éloge de la bêtise, de l'Enfer des bibliothèques aux clés USB, se plaisent à reparcourir l'histoire de l'édition, de l'imprimerie et des techniques de stockage de l'information, décrivent la joie d'avoir entre les mains un manuscrit, un ouvrage rare, voire un incunable, dérivent vers le cinéma ou l'évolution des arts visuels, la télévision, le football, la fonction de la philosophie. Tout est dit avec intelligence, avec humour - si bien que, très vite, il apparaît incongru, réactionnaire, intellectuellement stérile, politiquement inepte, de vouloir se débarrasser des livres… C'est par le livre que