C’est une relation née d’un genre de pacte, et d’un pacte unique dans l’histoire de la littérature.
En 1943, Thomas Mann est à Pacific Palisades, district résidentiel de Los Angeles où s'est regroupée une partie de l'émigration artistique allemande. C'est là qu'il met en chantier Doktor Faustus, vaste roman qui anatomise, sur fond de catastrophe allemande, les tourments, les créations et la folie d'un compositeur visionnaire, Adrian Leverkühn.
L'œuvre est touffue, ardue aussi. Notamment parce que, la création musicale étant l'élément même du drame, il faut la mettre en scène et l'analyser, sur divers plans : relater par le menu une conférence sur l'opus 111 de Beethoven (la 32e sonate pour piano, sommet entre les sommets), mais aussi décrire dans leur détail les œuvres du nouveau Faust, tel l'oratorio Apocalipsis cum figuris. Or, pour cela, il ne suffit pas, reconnaît l'auteur, de se «sentir à moitié musicien» ni même d'avoir déjà «transposé au roman la technique du tissu polyphonique». Il faut tout un langage, une connaissance des formes les plus neuves, et des idées proprement techniques.
Diable. C'est ce que Mann trouve auprès d'Adorno, son nouveau voisin, philosophe mais aussi compositeur, élève d'Alban Berg et déjà auteur d'une étude sur Wagner. Un soir, tous deux s'entretiennent de l'opus 111 pour la conférence du chapitre VIII. Deux ans plus tard (fin 1945), dans le fil d'une rédaction au long cours, la dema