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Libération
Critique

La venue générale de Cleyre

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Exhumation des essais d’une Américaine anarchiste au tournant du XXe siècle
publié le 3 décembre 2009 à 0h00

Encore aujourd'hui (de nouveau aujourd'hui), Voltairine de Cleyre (1866-1912) est une femme qui pense trop. C'est-à-dire qu'écrivant en Amérique il y a cent ans, elle habite toujours notre époque. La preuve : «La théorie la plus répandue de nos jours est que les idées ne constituent qu'un phénomène secondaire, impuissant à déterminer les actes ou les relations de la vie.» Or il lui semble, à elle, qu'il vaudrait mieux penser plutôt que de s'agiter, surtout si c'est pour «forcer, surmener, gaspiller, épuiser sans vergogne et sans merci l'énergie jusqu'à la dernière goutte, uniquement pour produire des masses et des monceaux de choses - des choses laides, nuisibles ou pour le moins largement inutiles.» Elle s'étonne aussi que, dès qu'un pauvre réclame contre l'injustice sociale, son patron, son président, son curé ou n'importe quelle autorité lui rétorque un truc du genre : «Vous qui êtes aveugle, soyez reconnaissant parce que vous pouvez entendre : Dieu aurait pu également vous rendre sourd.» Elle a enfin de drôles d'idées sur le mariage et les enfants, se demandant si l'éducation de la progéniture doit vraiment être le «besoin dominant» de toute une vie, au détriment du désir sexuel ou artistique et du besoin de connaissance.

Libre-pensée. On ne peut même pas accuser Voltairine de Cleyre d'être nullipare ou communiste, puisqu'elle eut un fils, de nombreux amants (tous anarchistes ou juifs) et que, eu égard