«Egarés, nous le sommes tous.» Sur les chemins tortueux de l'existence se trouvent trop d'embûches, de mines, de culs-de-sac. Mais s'ils peuvent être accidentels, désarroi, égarement et délaissement semblent surtout tenir à la condition humaine. Aux hommes qu'on prive d'humanité, dans des camps d'extermination, la vie apparaît ne poursuivre qu'une seule et unique fin. «Ici et maintenant, notre but, c'est d'arriver au printemps. Pour le moment, nous n'avons pas d'autre souci», écrivait Primo Levi. Mais aux hommes libres se présente une gamme illimitée de choix, lesquels se dessinent et s'effectuent après une difficile navigation entre possible et impossible, perte et gain, dépendance et indépendance, opportunité, éventualité, nécessité, calcul, gratuité, intérêt, négociation avec soi-même et avec autrui. Si bien que, destinés à une infinité de vies possibles, tous se décident pour l'une avec le sentiment de s'être privé des autres.
On ne sait jamais ce qu'on devrait avoir accompli dans la vie pour ne point être saisi par l'impression de l'avoir perdue, car ce qu'on a acquis, modes d'être, qualités, fonctions, rangs et statuts, n'a été acquis qu'en se privant de tout ce qu'on aurait pu développer. Aussi les hommes, qui peuvent s'attendre à tout, sont-ils toujours en attente de ce qui viendrait combler le hiatus entre réalité et possibilités, mais savent cette attente vaine. C'est ce qui fait le malheur de l'existence, ou son «ordinaire échec». Comment le surmo