On vit des temps d’hommes blessés et indélicats : blessés individuellement par l’indélicatesse collective qu’ils alimentent. L’amour est au cœur de cette contradiction. Vivre l’amour, c’est oublier la politique, mais parler d’amour, c’est en faire. Du moins, quand c’est à haute voix : il devient l’unité de mesure intime de la vie publique. Louis XIV et la Montespan, Marius et Jeannette, Ségolène et François, Cécilia et Nicolas, Nicolas et Carla : vieille lignée du pas de deux mis en spectacle. L’amour fixe des modèles d’action, d’édification, de liberté, de compromis, d’aliénation, de solitude. Ainsi devient-il un étalon privilégié de la citoyenneté.
Qu'un philosophe aussi engagé qu'Alain Badiou parle à son tour d'amour n'a donc rien pour surprendre. Qu'il y voit, lui l'homme d'extrême gauche qui croit en l'amour comme il croit en la vérité, un acte militant, n'est pas plus surprenant. L'amour selon Badiou est une aurore à deux toujours renouvelée, une «procédure de vérité» élaborée sur le terrain, une construction patiente de la «vérité sur le deux. La vérité de la différence comme telle.» S'il ne restait qu'une phrase d'Eloge de l'amour (1), son bref livre d'entretiens avec Nicolas Truong, ce serait donc celle-ci : «L'amour est toujours la possibilité d'assister à la naissance du monde.» Le processus rappelle le slogan du nouveau magasin AppleStore du Louvre-Carroussel : «Attention, progrès en progression !» Mais il ne s'agit pas