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Libération
Critique

Le facteur imaginaire

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Nées de son enfance et de ses souvenirs de geôle, «les Lettres qui ne sont jamais arrivées» de Mauricio Rosencof
publié le 17 décembre 2009 à 0h00

Une lettre de sa fille, Alejandra, a déclenché la mémoire. Ces nouvelles d'une gamine alors âgée de 9 ans, dont de larges extraits avaient pourtant été biffés par la censure, ont même fait exploser les souvenirs. A l'époque, Mauricio Rosencof, écrivain, militant révolutionnaire et l'un des fondateurs du Mouvement de libération nationale-Tupamaros (MLN-T, guérilla d'extrême gauche), croupissait dans le cul de basse-fosse où l'avait jeté la dictature militaire en Uruguay. Durant ses treize années de détention, entre 1972 et 1985, il n'eut droit qu'à peu de correspondance, mais «ce courrier de ma fille a eu pour moi la saveur de la madeleine de Proust, sourit-il en scrutant son interlocuteur d'un regard espiègle. Proust a fait un roman de sa madeleine, j'ai tiré mes Lettres qui ne sont jamais arrivées de ces mots d'enfant». (1)

Sans papier ni stylo, matériel prohibé au cachot, Rosencof réécrit dans sa tête les scènes de sa plus tendre enfance. «Parce que, dans les situations limites, on pense toujours à son enfance et que la littérature est un acte de liberté, souligne-t-il. D'ailleurs, en Uruguay, il n'y a pas un seul prisonnier qui n'ait laissé un poème, un écrit, un texte, une chanson. Sans connaître les lois de la thérapie, les détenus de la dictature ont tous entrepris une catharsis intuitive par l'écriture.» Mauricio se remémore surtout les jours où ses parents, juifs polonais originaires de Lublin (Pologne orientale) v