En 1964, B.S. Johnson imaginait Albert Angelo, un livre avec un trou, de manière à ce qu'on entrevoie ce qui va arriver quelques pages plus loin. Deux ans plus tard, il décidait que son nouveau roman, les Malchanceux, ne serait pas relié. Dans sa biographie (lire ci-contre), Jonathan Coe rappelle qu'il n'a pas été le premier à le faire. Le Français Marc Saporta l'a précédé avec Composition n° 1, mais il s'agissait de feuilles volantes. Les Malchanceux, proposé dans une boîte (prouesse des éditions Quidam), se présente sous la forme de fascicules plus ou moins épais (parfois des feuillets simples), non paginés. Le lecteur est invité à les lire dans l'ordre qu'il veut.
Monologue. Cette formule permet à deux personnes en même temps de lire les Malchanceux, indique Jonathan Coe. Un autre phénomène est induit par la conception du texte et de l'objet : l'esprit du lecteur vagabonde entre chaque fascicule du roman, dont le thème est ce qui se passe dans la tête d'un journaliste en reportage. On met un temps fou à lire les Malchanceux, alors que ce n'est pas du tout ennuyeux, au contraire. Il s'agit d'un monologue intérieur classique, émouvant, qui brasse le passé et le présent. L'auteur-narrateur se souvient de son ami Tony, en essayant d'être précis, en évitant les généralités mensongères. Rappelons le credo de B.S.J., qui justifie forme et fond : «La vie ne raconte pas des histoires. La vie est chaotique, f