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Critique

Maladies du lien

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Alain Ehrenberg analyse les rapports entre l’individu autonome et la société
publié le 18 février 2010 à 0h00

La chose est tellement habituelle que nul ne la remarque plus : l'application au domaine social de notions psychologiques, psychanalytiques, voire psychiatriques. La psychologie se rapporte à l'«âme» (psyché), mais on fait comme si, outre l'individu, la société en avait une. Aussi parle-t-on de malaises sociaux, de sociétés en bonne ou mauvaise santé, de dépression, de «crise de croissance», sinon de sinistrose, pour dire que l'horizon est sombre, quand la notion désigne l'état mental de certains accidentés qui majorent névrotiquement les traumatismes subis. Au demeurant, il n'y a là rien de grave - à ceci près qu'une telle «psychologisation» laisse entendre que, de même que les maladies qui frappent les individus arrivent «objectivement», sans que personne ne l'ait voulu, de même les maux qui atteignent les sociétés ne sont de la responsabilité de personne.

Amphétamines. Il serait néanmoins absurde de soutenir que la façon dont les individus entendent mener leur vie, ou sont empêchés de le faire, n'influe en rien sur la nature et les formes que tour à tour prend une société, et que les conflits qui agitent une société, ses perspectives ou son absence de perspectives, son (in)aptitude à redistribuer égalitairement les richesses, les valeurs qu'elle produit ou les idéaux qu'elle poursuit, n'ont aucun impact sur la façon dont les individus vivent, souffrent, sont heureux ou tirent le diable par la queue. Mais en quel sens peut-on dire que la sociét