Il faisait grand froid, ce matin-là qu’on visita Michel Lequenne dans son antre, à un jet de pavé du Père-Lachaise. On dit antre, parce qu’il n’en sort plus guère. Non que l’âge ou la santé l’y enferment, mais tant de labeur encore à achever…
En cet appartement dont les fenêtres ouvrent sur un terrain vague comme une allégorie de crise, c'est toujours les livres qui organisent le temps. Normal, chez un homme qui, la commençant en autodidacte, finit sa vie professionnelle comme chef du service de lecture de l'Encyclopedia Universalis. Ici se mettent en place et en piles les vies de Lequenne, dont les spécialistes retiendront notamment son Christophe Colomb contre ses mythes (2002) et le Trotskisme, une histoire sans fard (Syllepse, 2005). Pour sa vie sans fard, elle imprègne son Catalogue depuis l'adolescence laborieuse et déjà militante sous le Front populaire, dans le mouvement des Auberges de jeunesse, la résistance trotskiste en 1943, le travail critique esthétique au sein du groupe surréaliste maintenu, et les amours à foison, et les emmerdes des cent métiers du révolutionnaire professionnel.
Et, aujourd'hui encore, ce rire pointu qui ponctue tout. «Je ne sais pas me promener ni me reposer, dit-il ; je me réveille quand il faut.» Le matin est dévolu à la vie sociale - lecture de journaux, visites d'amis et camarades, rédaction de courrier. A vêpres, après la sieste nécessaire, s'achèvent les écrits en cours. Et les nuit