Le philosophe, matérialiste, a des mains, pour ausculter le corps du monde. Des oreilles, pour en saisir les bruits, les craquements ou les douleurs. Et des yeux, qui lui en font voir les semblances, les enchevêtrements et les couleurs. Le goût lui échoit aussi, mais il s’en sert moins pour délecter ses papilles de la saveur de fruits ou de mets assaisonnés, que pour juger de la beauté des œuvres d’art. Mais ce qu’au penseur traditionnellement on dénie, c’est l’odorat. Le philosophe n’a pas de nez. Il a du flair, qui oriente ses intuitions, il peut «sentir», sentir la faim, le froid ou la fatigue, pressentir, ressentir une peine ou un plaisir - mais qu’il puisse par les narines respirer des exhalaisons fétides ou s’enivrer de la senteur du jasmin, est considéré non point humainement incongru, mais philosophiquement inessentiel. Le nez est bon pour la parfumerie, pas pour la philosophie.
«Art du nez». «L'odorat empêche la pensée», disait saint Bernard. L'anosmie des philosophes doit beaucoup aux préjugés, mais, de fait, eux-mêmes ont rarement mis le sens olfactif au centre de leur réflexion. La Philosophie de l'odorat de Chantal Jaquet apparaît donc comme un livre qui «sent bon» la nouveauté. Cependant, l'idée d'une «pensée sur ou par lenez», ne va pas de soi. On conçoit que la publicité cède à l'«odoromania», que l'historien puisse «étudier la manière dont les hommes se représentent les odeurs et les p