On n'est jamais si bien desservi que par soi-même. Soit un jeune auteur espagnol (il est né en 1974) dont le deuxième roman, la Mémoire vaine - publié en français chez Bourgois -, connaît un franc succès à sa sortie 2004. Son éditeur le presse de lui remettre un nouveau manuscrit. L'auteur renâcle - il entend prendre son temps - et finit par accepter un compromis : la republication de son premier livre, la Mala memoria («la mauvaise mémoire»), passé inaperçu lors de sa parution en 1999. Une solution qui ne satisfait Isaac Rosa qu'à demi ; il a quelques doutes sur la valeur réelle de cette œuvre de jeunesse et entreprend de la relire. On imagine que ce fut un jeu, au début. Stylo rouge à la main, l'auteur, tel un correcteur scrupuleux, s'amuse à pointer faiblesses stylistiques, lieux communs et invraisemblances de ce qu'il a écrit dix ans plus tôt. Et puis les notes critiques s'accumulent et la machine s'emballe, qui finit par accoucher d'un monstre littéraire : une œuvre dynamitée de l'intérieur.
Même non averti, le lecteur ne gobe pas l'avertissement où Isaac Rosa prétend avoir été victime d'un pirate mal intentionné, «un impertinent individu qui a tenté de saboter la publication» en l'entrecoupant de «commentaires inopportuns» et de «notes déplaisantes». Mais commençant à lire la Mala memoria, le roman original, dont chaque chapitre est suivi, en italiques, par sa démolition en règle, il doute très vite de l'authenticité