La montée des eaux consécutive au réchauffement planétaire donne une nouvelle consistance au célèbre jeu de l’île déserte. Bientôt, réfugiés sur les hauteurs de Montmartre ou du mont Valérien, nous contemplerons le bassin parisien à nouveau envahi par la mer, tout en nous demandant si nous avons fait le bon choix au moment d’extraire de notre bibliothèque «les dix livres que nous emporterions sur…». Mais désormais, il est trop tard pour changer d’avis : Paris est submergé, et les lamantins au front pâle qui barbotent vers la rue Lepic négligent les miettes de pain que nous leur lançons, préférant mâchonner les pages des milliers de livres qui flottent entre deux eaux. Les derniers éditeurs parisiens, accrochés aux tours de Saint-Sulpice et au clocher de l’église Saint-Germain, finissent d’agoniser tandis que des mouettes rieuses déchiquettent leurs oreilles poilues.
Le temps est donc venu de s'intéresser calmement à la littérature enfin réduite à sa portion canonique. On sait qu'en 1913, dans son article de la NRF «Les dix romans français que…», André Gide sauvait en priorité la Chartreuse de Parme et les Liaisons dangereuses. Ensuite, il regardait volontiers par-delà les frontières : «Qu'est-ce qu'un Lesage auprès d'un Fielding ou d'un Cervantes ? Qu'un abbé Prévost en regard d'un Defoe ? Et même : Qu'est-ce qu'un Balzac en face d'un Dostoïevski ? Ou si l'on préfère : Qu'est-ce qu'une Princesse de Clèves à côté d'un Britannicus ?» Rappelon