On est toujours soufflé par les récits de Colin Thubron. Il a ce talent unique pour arpenter les mémoires, collectives et individuelles, entremêlant leurs fils, comme il le fait aussi du passé et du présent, cherchant la grande histoire dans la petite. Avec En Sibérie, on n'est pas seulement époustouflé, on est saisi, transi, parfois épouvanté. Profitant de ce que les années Eltsine autorisaient une certaine liberté de voyager, l'écrivain britannique s'y est risqué pour un périple de six mois. Son but ? Essayer «de trouver l'âme» d'un pays «qui semblait n'en avoir aucune». Même si elle a l'immensité des Etats-Unis, la Sibérie attire peu les écrivains-voyageurs et ceux qui s'y sont risqués se sont plaints de ses rigueurs. Ce n'est pas le genre de Thubron, capable de traverser le pire des hivers et de dormir dans le plus infect des bouges sans jamais s'apitoyer sur lui-même.
Dès les premières lignes, le style est là : «Des étendues glacées à jamais traversées par un homme enchaîné. Dans les lointains, peut-être, un troupeau de rennes ; un chasseur qui inscrit son ombre sur la neige. Mais c'est tout. La Sibérie : elle occupe le douzième des terres émergées du globe - voila la seule certitude qu'elle laisse dans l'esprit. Une austère beauté, une peur indélébile.» Mais s'il n'oublie jamais de nous raconter «les grues blanches [qui] dansent sur le permafrost» ou «les mammouths [qui] sommeillent sous les glaciers», ni le destin t