Il faut croire aux légendes, puisque contrairement à nous elles disent la vérité. Il faut aussi savoir les interpréter. Stendhal a écrit la Chartreuse de Parme en cinquante-deux jours à Paris, mais il lui a fallu une vie pour en arriver là. Jack Kerouac a tapé en trois semaines à New York ce rouleau ininterrompu de 40 mètres aujourd’hui publié, en moyenne 35 000 signes par jour. C’est l’os de Sur la route, sa version crue et la plus aboutie. Route de papier qui symbolise celle qu’on prend : texte d’un jet, parchemin biblique de l’adolescence et du voyage dans l’Amérique de Truman, sans paragraphes ni masques ni détours, avec emploi fréquent du présent, ton installé entre jubilation et naturel, situations sexuelles et homosexuelles non caviardées. Et il lui a fallu toute une jeunesse - toute une idée rimbaldienne de la vie - pour en arriver là.
Transe. Cette publication est l'occasion de lire ou de relire Sur la route, mais autrement : en entrant, par choc des deux textes, dans l'atelier de l'écrivain. Le Rouleau a été écrit en avril 1951 dans une transe joyeuse. La légende a ses limites : Kerouac n'a pas carburé à la benzédrine, comme on l'a souvent dit, mais, simplement, à la Balzac, en buvant du café. Il a 29 ans. Il raconte ses voyages de 1947, 48, 49, seul ou avec Neal Cassady, vers toute leur bande éparpillée, d'est en ouest et retour, de rencontres en ruptures, frémissant dans les marges et par elles. Il essaie