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Libération
Critique

Au Chili, Les cocus de l’état de droit

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Un récit de l’évasion de 24 prisonniers politiques peu avant la destitution du général Pinochet.
publié le 29 mai 2010 à 0h00

«Apprenez-la par cœur, parce que dans trois minutes, je la bouffe !» Ce 24 décembre 1989, ce n'est pas le réveillon de Noël que Miguel et une vingtaine de militants du Front patriotique Manuel Rodriguez (FPMR, guérilla issue du Parti communiste) préparent dans une cellule de la prison publique de Santiago, au Chili. La liste de noms qu'ils doivent mémoriser dresse l'ordre précis dans lequel ils s'évaderont des geôles de la dictature.

Dix-huit mois durant, ces prisonniers politiques de Pinochet, regroupés dans un quartier du centre de détention, ont creusé un tunnel de près de 80 mètres à l’aide de fourchettes et de boîtes de conserve. Bricolant un système d’aération pour progresser sous terre sans s’asphyxier, ils ont réussi à extraire, puis à cacher sous les toits de la prison, l’équivalent de dix camions de gravois.

Un mois plus tard, le 29 janvier, ils seront 24 «frontistes» à ramper vers la liberté. Sans violence ni coup de feu. Vingt-cinq détenus d’autres formations de gauche, appartenant au Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), au Parti socialiste et au Parti communiste, s’engouffrent à leur suite dans le souterrain. Tous étaient lourdement condamnés. Alors que le Chili vient de voter pour le retour à la démocratie, en élisant quelques semaines plus tôt le démocrate-chrétien Patricio Aylwin à la présidence, cette évasion sonne comme un ultime pied-de-nez au général Augusto Pinochet qui doit quitter le pouvoir en mars. Un certain nombre de militants du FP