En 1897, un esthète lorrain de 35 ans publie, premier d'une trilogie, le roman à substrat autobiographique qui le rendra célèbre : les Déracinés. Sa republication permet de s'interroger sur la manière dont un livre gonfle sous l'haleine d'une époque, pour être crevé par celles qui suivent.
Maurice Barrès décrit, sur un mode balzacien emphatique et désabusé, la jeunesse d’un groupe de lycéens de Nancy que la vie parisienne (pensions de famille, petites putes, misère en milieu étudiant, presse compromise et déjà aux abois financiers, manœuvres politiques) va éprouver et dégrader. La question du livre reste à la mode : c’est celle du conflit entre les «racines» et la nation, révélé par l’éducation et la transmission.
Reflets. Les Déracinés commence en 1879 par une description extraordinaire, et extraordinairement datée, du professeur de philosophie de la petite bande, le futur député Paul Bouteiller : «Ce jeune homme au teint mat, qui avait quelque chose d'un peu théâtral, ou tout au moins de volontaire dans sa gravité constante et dans son port de tête, fut confusément l'initiateur de ces gauches adolescents. La jeunesse est singe : on cessa de se parfumer aux lycées de Nancy, parce que Paul Bouteiller, qui n'avait pas le goût petit, séduisait naturellement.» «Gauches adolescents», «gravité constante», «goût petit» : c'est au choix et au placement des adjectifs qu'on sent d'abord tout le sépia d'un style.