«Comment sauteraient les kangourous si les lois du mouvement étaient un peu différentes ?» C'est l'incipit d'un ouvrage passionnant, la Théorie littéraire des mondes possibles, tout juste paru aux éditions du CNRS. Il s'agit des actes d'un séminaire organisé il y a quelques années à l'université Paris-VII au cours duquel des personnes a priori saines d'esprit se sont demandé si, pour étudier les œuvres littéraires, il n'y aurait pas des outils à aller piocher du côté de la logique mathématique, étant donné que la grille d'analyse structuraliste a fait son temps. Ceux qui ne sont pas familiers avec la sémantique de Kripke pourraient se heurter ça et là à des difficultés de lecture. Faut-il se laisser rebuter pour autant ?
D'abord, la proposition liminaire sur les kangourous est très stimulante. Certes, il ne sera plus une seule fois question de marsupiaux dans le reste de l'ouvrage (il s'agissait juste d'un exemple), mais c'est trop tard : la simple irruption du mot kangourou dans un texte de théorie littéraire a des propriétés stupéfiantes. Peut-être parce que ce mot dérive de gangurru, qui, selon la légende, signifie "Je ne te comprends pas" dans la langue de la tribu aborigène Guugu Yimidhirr. Donc supposons, comme on nous y invite, que les kangourous soient posés sur de toutes petites pattes riquiqui et que leurs membres supérieurs soient d'énormes battoirs. Ces pauvres bêtes se casseraient la figure en permanence, écrasant à chaque bond