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Critique

Que demande le peuple ?

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Trois siècles de représentations des «pauvres» analysés par l’universitaire Déborah Cohen
publié le 3 juin 2010 à 0h00

Qu'est-ce que le peuple au XVIIIe siècle ? Pendant longtemps, au moins jusqu'aux années 1760, il est absent des livres et des discours, si ce n'est pour affirmer sa soumission au roi. «Les élites ne voient pas le peuple», écrit Déborah Cohen, c'est «un regard qui sait d'avance». Et ce savoir est nourri d'un a priori radical selon lequel la pauvreté, ou l'appartenance au peuple, n'est pas un phénomène social mais un fait de la nature, voulu par la providence. Etre mendiant, voleur ou vagabond est pensé comme relevant d'une nature dont on ne peut pas se défaire. Nul besoin de rechercher les identités singulières, car l'individu de basse condition n'a pas de personnalité propre, seul compte l'appartenance à un collectif. Pour les dominants, «il n'y a pas d'hommes et de femmes du peuple, seulement des masses, des groupes, des agrégats, le plus souvent en émeute». Le peuple est perçu comme tout entier du côté du corps, incapable de réflexion politique. Dès lors, il ne peut qu'être par nature profondément séditieux. La crainte de la révolte est profonde chez les élites. Pourtant, aucun soulèvement important ne se produit au cours du XVIIIe siècle, avant 1789.

Hiérarchie. Après le milieu du siècle, la représentation du peuple devient moins abstraite et le schéma théologique s'efface en partie au profit de descriptions plus concrètes du paysage social. Cette évolution s'explique par la place considérable prise