La philosophie a-t-elle des frontières ? Un peu, mon neveu. La preuve en est que chez nous, c'est le Nietzsche d'Onfray qui défonce toutes les ventes de bande dessinée, tandis que Logicomix, biographie graphique de Bertrand Russell, ne se retrouve, un mois après sa sortie, qu'en 89e position des meilleures ventes Datalib. Encore faut-il préciser que c'est en catégorie «essais et documents» et non «BD et humour» comme il siérait. Si la même erreur d'aiguillage s'est produite chez tous les libraires, cela explique peut-être pourquoi Logicomix n'a pas fait le même score exubérant qu'en Hollande ou eu autant de presse qu'en Grande-Bretagne. C'est que les lecteurs n'ont pas encore réussi à trouver l'étagère où il est rangé. Mais aux Etats-Unis, il a pris la tête du classement du New York Times la semaine de sa sortie, à l'automne 2009.
On soupçonne pourtant que la vraie raison de ce désamour tient plutôt à un malentendu interculturel. L'intello français moyen et un peu âgé tombe en effet de son fauteuil club en lisant la première ligne du dossier de presse : «S'appuyant sur la vie passionnée des plus grands penseurs du siècle dernier : Poincaré, Wittgenstein, Hilbert, Russell, Frege, Cantor …» Vertige. De quel siècle s'agit-il ? XXe, XIXe ? Une faille dans l'espace-temps ? Où sont passés Bergson, Husserl, Heidegger, Deleuze ou Derrida ? Et si c'est l'époque de Cantor et Frege, qui a mangé Nietzsche et Ki