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Libération

Exorcismes spiritueux

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Le cahier Livres de Libédossier
Luchini réveille la voix de Philippe Muray
publié le 24 juin 2010 à 0h00

Etre d'une époque, c'est savoir la détester. Philippe Muray, le joyeux antiprophète d'Après l'Histoire et des Exorcismes spirituels, savait : il écrivait, il lisait, il fumait, le tout exclusivement et sans fin. Sa femme, Anne Sefrioui, se souvient : «Philippe a longtemps fumé des Gitanes, puis des Boyard maïs, deux paquets par jour, il me semble. Puis, vers le milieu des années 90, considérant qu'on les avait édulcorées, pour ne pas dire émasculées, et qu'elles n'avaient plus aucun goût, il est passé aux cigares. Il en fumait environ vingt par jour. Des Panter Mignon, une marque hollandaise. J'entends encore le terrible petit claquement de la boîte métallique le matin, pour le premier cigare fumé à jeun, au lit…» Cet excès de fumée rageuse et solitaire, ce petit claquement sec, c'est son style.

Muray est mort le 3 mars 2006, à 60 ans, d'un cancer du poumon. Un groupe discret de lecteurs et d'amis éprouvèrent cette tristesse que n'éteint aucune cigarette : une voix qui riait de dire non n'était plus là pour leur dire oui. Plus là pour démonter la bonne conscience de gauche et le capitalisme culturel. Plus là pour s'amuser des nouveautés de «l'aube aux rayonnements orientés». Cette voix aimait les corps de Rubens, les romans de Balzac, les phrases de Céline, les proférations de Léon Bloy, l'esprit déconnant. La voici : «Ce monde a quelque chose de bon. Il suffit de le considérer pour être aussitôt guéri de l'antique peur de le perdre.»