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Libération
Critique

Le désert des barbares

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Un camp de la mort exhumé par Yang Xianhui
publié le 8 juillet 2010 à 0h00

Entre 1957 et 1961, 3 000 enseignants, artistes, intellectuels et dissidents ont été envoyés en «rééducation par le travail» dans un coin du désert du Gobi appelé Jiabiangou. Plus de 2 500 d'entre eux sont morts de faim. Nombre de rescapés ont dû dévorer les cadavres de leurs camarades pour pouvoir subsister. Sans le travail obstiné de Yang Xianhui, l'histoire abominable du camp de Jiabiangou aurait sans doute sombré dans l'oubli. Son livre, sorti en Chine en 2002, et le mois dernier en France sous le titre le Chant des martyrs, est un récit scrupuleux et touchant, habilement transformé en roman pour contourner la censure. «Si j'avais dit que tout était vrai, je n'aurais jamais pu le publier», clarifie l'écrivain de 64 ans. Il n'épargne aucun détail de l'agonie des prisonniers. Ils décèdent généralement dans leur sommeil, sans bruit, au rythme de deux ou trois par jour. Certains désespérés s'évadent pour manger ; l'un d'eux s'échappe pour retrouver la femme qu'il aime, mais est repris presque aussitôt.

Silhouettes. Entre deux tasses de thé dans son appartement de Tianjin, au sud-est de Pékin, Yang sort des photos d'un sac en plastique et les étale sur son bureau. «Voilà des années, une femme m'a envoyé ces clichés de Jiabiangou. Elle avait fait le voyage pour tenter de retrouver les restes de son mari.» Des images aux bords usés, cent fois manipulées, qui ont l'impact d'un coup de poing dans la figure. On y voit des squelettes, des