Dès le premier soir, l’homme est là, à la cafétéria qui jouxte l’hôtel. Grand, efflanqué, il boite, porte à gauche une grosse chaussure orthopédique. Tout ce côté est de fait cabossé, bras inerte, visage affaissé, lardé de cicatrices jusque dans les cheveux. Hémiplégie ? Accident de la route ? Guet-apens ? On le scanne en entomologiste, on suppute sans vergogne. Quand soudain, son regard nous stoppe net. Foudroyant, translucide, jailli d’orbites-grottes. Nous voilà fétu quand, une seconde avant, on concluait au type foutu. Après ça, on ne l’observe plus qu’à la dérobée. Matin et soir, tous les jours, il est là, parfois flanqué d’un acolyte mais toujours silencieux. Régulièrement, il va fumer un clope dehors, dans le vent à rendre marteau. Assis sur un banc, un peu tordu, un peu tendu. Voilà : l’homme de l’hôtel semble droit sorti d’un roman d’Arnaldur Indridason. Il pourrait parfaitement être l’un de ces maudits dont le commissaire Erlendur Sveinsson s’obstine à reconstituer les trajectoires, car rien ne l’obsède plus que l’injustice, ou, pire, l’oubli. L’Islande d’Erlendur existe donc bien.
Faux sang, humour maison
«Erlendur appartient plutôt à la génération de mon père, il est très tourné vers le passé, et il fait partie de ces flics qui préféreront toujours la machine à écrire à l'ordinateur, dit en souriant Ragnar Jónsson. Moi, je suis clairement plus proche du personnage de Sigurdur Oli [inspecteur adepte de la nouveauté et de l'anglicis