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[Excentriques] . Chaque jour, «Libération» part à la rencontre de personnalités hors normes. Aujourd’hui, Ludwig Wittgenstein, philosophe anglo-autrichien, surdoué richissime et exténuant.
publié le 28 juillet 2010 à 0h00

Avant de perdre conscience, le philosophe a prononcé une dernière phrase : «Dites-leur que cette vie fut pour moi merveilleuse.» Epitaphe paisible adressée à ses amis qui n'arriveraient qu'après. Ludwig Wittgenstein s'éteint à Cambridge le 29 avril 1951 au terme d'une existence qu'il est pourtant difficile de qualifier de merveilleuse. Sa trajectoire fut sinueuse, semée de drames et de désespoirs. Tour à tour ingénieur, officier pendant la Première Guerre mondiale, instituteur rural, garçon de salle dans un hôpital pendant la Seconde… Etrange personnage dont on a dit de lui qu'il parlait aux oiseaux, avait la phobie des insectes et nettoyait sa cuisine avec des feuilles de thé mouillées…

Né autrichien, devenu britannique, Wittgenstein fut instable, rarement satisfait ou heureux, intransigeant en diable. Les images montrent un beau visage efflanqué au profil aquilin, des cheveux bruns fournis et un regard fixement possédé. De l’intérieur exhale un esprit sans repos, traversé d’intenses souffrances psychiques et morales.

Son enseignement à Cambridge devait forcément sortir de l'ordinaire. Ce n'était pas une sinécure d'arriver en retard dans son appartement déjà bondé de Whewell's Court à Trinity College où il officiait. Il fallait trouver une chaise, déranger les autres et surtout subir son regard noir. Rien n'était préparé, comme l'a raconté un ancien étudiant, Norman Malcolm, qui assistait à son cours sur le fondement des mathématiques en 1939-40 (1). Wittgenstein par