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Libération
Critique

«Cronos» ou le temps de la barbarie

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Fable . Linda Lê décrit une dictature imaginaire, atroce et vulgaire, où se révèle une Antigone.
publié le 19 août 2010 à 0h00

La Hyène dont il est question dans le nouveau roman de Linda Lê n’a rien à voir avec le personnage ainsi dénommé chez Virginie Despentes (lire pages précédentes). La Hyène de Cronos est un ancien sous-officier sadique, de son vrai nom Karaci, devenu ministre de l’Intérieur du dictateur - le Grand Guide - après le coup d’Etat qui a transformé en enfer la ville de Zaroffcity.

La première phrase contient tout le livre, fable politique où les intellectuels et les esthètes n'ont aucune chance de s'en sortir : «Le soldat frappe à coups de crosse l'homme qui serre le livre contre lui.» En alternance, Linda Lê décrit les exactions de Karaci et ses sbires, le pitoyable état de la population (les Zaroviens) et donne la parole à une jeune femme, Una, qui adresse des lettres à son frère exilé. La violence du pouvoir est atroce et vulgaire, les lettres sont élégantes et tristes, mais une jubilation phénoménale irrigue l'ensemble. Elle vient pirater tout ce que les personnages pourraient avoir de solennel.

Karaci, consultant ses «devins à la manque», a beau calculer ses mauvais coups avec une noirceur inégalable, donner aux chiens de la viande fraîche dont la traçabilité ne laisse pas d'être inquiétante, il ne nous fait même pas peur. Les sévices bénéficient d'une richesse de vocabulaire parfaitement ludique : «Changer une nunuche en allumeuse, lui apprendre mille tours pour s'attacher les débauchés, est bien plus bandant que de forniquer avec des greluches.» Quant