Dans la brève et assez classique étude qu'il consacre à Gauguin, Alain Fleischer nous apprend que tout en «exaltant la vie primitive», le peintre, exilé aux Marquises, «préfère les conserves aux plats indigènes, commandant par douzaines des boîtes de bœuf, de tripes, de sardines, de petits pois et d'asperges, ainsi que diverses salaisons». Mais son régime ne s'arrête pas là. Celui que, phonétiquement sans doute, les jeunes filles locales appellent Koké, consomme leur propre chair dans sa case, surnommée «Maison du Jouir», où elles viennent «pour boire, ripailler et festoyer en l'absence de tout Européen».
Ogre. A quelques livres de là, le narrateur d'Imitation va s'isoler dans un curieux château de Bohème durant trois semaines en été, où il se retrouve seul avec quelques fantômes de la Mitteleuropa et ses fantasmes persos, dont la consommation moite et frénétique de Nell, sœur jumelle de sa petite amie Lucia. Avec Gauguin comme avec Imitation, on est donc indubitablement dans une fiction de Fleischer, gourmande et ogre à la fois, munie de plusieurs bouches et d'un sexe long (ou profond) comme les intestins de l'Histoire. Car, nous répétera plusieurs fois le narrateur, il s'agit de savoir ce qu'il y a «en Nell». Ce n'est pas le seul jeu de mots qui, comme à l'accoutumée, structure le roman. Le «village de K.» nous ramène d'emblée à des forêts littéraires connues pour leur obscurit