Longtemps, en philosophie, Alain fut méprisé. Il eut certes, grâce aux Propos, son public et ses admirateurs. Mais il fut méprisé par ses pairs, ou, si on préfère, déclassé - un peu comme Albert Camus, qu'une critique malheureuse qualifia de «philosophe pour classes terminales» -, situé au-delà du boulevard périphérique, là où la philosophie se dévergonde, se mêle à la littérature, se dépouille de ses ismes et de ses habits d'école, flirte avec l'«essai», les «pensées», les miscellanées et, justement, les «propos».
Quand il s'agit de le faire nommer au Collège de France et à la Sorbonne, il fut de ses collègues qui placèrent des chars autour du «corps sorbonnique», et des faux amis, dont Léon Brunschvicg, qui allèrent trouver le ministre pour le supplier de ne pas faire entrer dans la bergerie ce «genre de pensée» de loup, «dangereux pour la philosophie». Aujourd'hui, il suffit de laisser choir dans la basse-cour médiatique une ou deux idées pour recevoir le titre de philosophe. A Alain, dont les seules universités furent «populaires» (Lorient, Rouen, Paris-Montmartre, Paris-Gobelins…), on ne donna que l'accessit de «professeur de lycée» - que ce lycée fût Condorcet, Michelet ou Henri-IV.
Grain de riz. Quand le danseur est étoile, il ne laisse pas voir dans ses arabesques légères le lourd travail à la barre qui les prépare, ni l'entraînement forcé, la fatigue et les crampes. Pour Alain, de même : voulant que rien n'