Trente-cinq minutes ont été filmées, mais, sur YouTube, les images du coup d'Etat néofranquiste durent quarante-cinq secondes. Ce sont celles que tout le monde a vues depuis le 23 février 1981. Elles vont vite, tout a l'air violent et faux, on doit les regarder plusieurs fois pour entrer dans la matière de l'instant. Javier Cercas, l'auteur des Soldats de Salamine, l'étire sur 400 pages - ou plutôt, la pénètre. Il le fait à partir du film entier, comme on perce le bois à la vrille, par incantation et torsion narrative, par travellings et hypothèses, revenant et revenant sur les personnages, leurs histoires, leurs gestes, exprimant le jus des faits, nuançant, contredisant ou répétant ses propres analyses, de même qu'on réoriente la vrille lorsqu'elle a trop accentué l'angle de pénétration.
«Foutriquet». Ainsi creuse-t-il par le moment historique ses acteurs, pour entrer un peu plus à chaque tour dans leur vérité, leur opacité, leur transparence, leur absence, leur destin. L'idée politique qu'on en tire est assez simple : la démocratie est un parvenu jamais installé, que tout un tas de forces égoïstes, réactionnaires, conservatrices, prétendument progressistes, ne cessent de menacer. La splendide imperfection d'Adolfo Suárez, président du gouvernement, ce «foutriquet» arriviste, charmant et sans culture qui imposa la démocratie à l'Espagne malgré tout, peut-être même malgré lui, en donne une bonne image. Il agit comme elle, par ses qualités et