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Libération

Deux chiens et un chapeau

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publié le 16 septembre 2010 à 0h00

Truman Capote, Charles Dickens et T.S. Eliot étaient d'assez bons danseurs. Henry James, Henry Miller et Vladimir Nabokov n'avaient pas ce talent-là. Victor Hugo a fait un peu d'équitation durant son séjour à Jersey. A notre connaissance, Marcel Proust n'a jamais posé le quart d'une fesse sur un équidé - exceptés les chevaux de bois des Champs-Élysées - mais on l'a vu faire l'idiot avec une raquette de tennis. Jean Giraudoux, quand il promenait son chien dans le jardin du Palais-Royal, désignait une fenêtre d'un bras levé, en disant à son animal : «Dis bonjour à Mme Colette !» Parfois, autre histoire de chien, Roger Grenier tombait sur son voisin Romain Gary lorsqu'il sortait faire pisser Ulysse rue du Bac, et Gary lançait affectueusement à Ulysse : «Viens ici, connard!» Quand, en 1884, Maupassant descendit la Seine à la rame de Maisons-Laffitte à Rouen en quatre jours, il s'arrêta à Medan pour saluer Zola, lequel, entouré d'un peuple de maçons et de jardiniers, était en train de diriger l'installation d'une basse-cour. On finit par savoir beaucoup de choses idiotes sur les grands écrivains, parce que l'intérêt s'est déplacé de l'œuvre vers la vie, puis de la vie vers l'anecdote. Quand, pour éviter ce genre de glissement, un auteur décide de contingenter les informations sur sa vie privée, le résultat est généralement catastrophique : les œuvres de Salinger et de Pynchon sont désormais ourlées d'une myriade d'anecdotes douteuses.

Jonathan Franzen