Une décennie peut-elle avoir une âme ? Posséder un esprit ? Exprimer une essence ? Peut-elle nous «parler» ? Nous hanter ? Les années 70 sont un mystère politique, sociologique, esthétique. Rarement période historique aura été l'objet de tant de mépris. Dès 1979, Jean-François Bizot, fondateur du magazine Actuel, leur réglait leur compte : finies, proclamait-il, «la tristesse des années 70», «les interrogations sans fin», «la morosité angoissée». Militants mal fringués, intellos frustrés, musiciens drogués, babas cool au patchouli devenaient ringards. Un enterrement expéditif, comme s'il fallait de toute urgence refermer une parenthèse. Or, trente ans plus tard, la décennie refoulée refait surface : il y a eu des inédits de Barthes, les 40 ans de Vincennes, le Carlos d'Olivier Assayas. L'année dernière, dans l'Arrogance du présent, Jean-Claude Milner en faisait un objet philosophique. Cet été, à Avignon, l'Italien Massimo Furlan se penchait sur l'année 1973. Avec Qu'as-tu fait de tes frères ?, c'est par la littérature que Claude Arnaud restitue l'expérience sensible de ces années-là.
«Dix bras». La famille Arnaud habite Saint-Cloud, le père est ingénieur, la mère au foyer, quatre fils, Claude est le troisième, «personne ne nous fait peur, quand on fait bloc». Androgyne et tenace, Claude est une éponge à désirs, qui frissonne à l'air du temps. En mai 1968, à peine pubère, il déambule dans