La vie est brève et le désir sans fin ? Beau décasyllabe, mais c’est plutôt le contraire, en pieds moins élégants : la vie est sans fin et le désir, bref.
Prenez Nora Neville, jeune Anglaise qui se prend pour Nina, la mouette de Tchekhov. Elle a deux amants, l'un à Paris, appelons-le Jules, l'autre à Londres, appelons-le Jim. Jules et Jim savent chacun que l'autre existe, mais ne se connaissent pas. En parlant de mouette, ce sont des albatros : des bêtes mélancoliques. Ils lisent Leibniz tous feux éteints, elle ne sait pas qui c'est. Nora est une jeune femme fantôme, légère, opaque, incertaine, qui ne vit que des possibles et qu'on déjupe comme un songe. Elle ne vieillira pas tant qu'elle filera entre les doigts du destin. Passant de Jules à Jim, de Jim à Jules, elle vit comme une apparition, comme une disparition, sans prévenir et sans expliquer, fille de l'air née à bout de souffle. Jim lui dit : «Nous attendons ta promesse, disait Saint-Augustin, avec la tension de la patience.» Elle répond : «Oh, Murphy, tu ne changeras jamais.» Et il raccroche comme on meurt, avant de continuer. Jim s'appelle Murphy, comme un héros de Beckett. Murphy Blomdale. Quant à Jules, il s'appelle Louis Blériot-Ringuet. Il descend du ciel et de l'aviateur.
Désarroi. Nora est l'avenir de l'homme, qui n'en a pas. Elle va et vient entre eux, cœur plein, portefeuille vide, petite valise en main. Elle est leur absente-présente, d'une ingratitude souveraine, «puisque l'amour