Il ne faut pas se fier à ce qu'écrit Philip Roth. A lire ses derniers romans, on pourrait en déduire que «le plus grand écrivain américain vivant», dixit la plupart de ses contemporains, est un vieil homme aigri et paranoïaque, prisonnier de ses propres obsessions de décadence, à l'image de Zuckerman, son alter ego littéraire. Mais, avec plus d'un demi-siècle de littérature derrière lui, l'homme de 77 ans qui reçoit dans son appartement de l'Upper west side, à New York, est étonnamment alerte et disponible. Il propose d'enlever les chaussures à l'entrée, pour ne pas abîmer le parquet, mais sans insister. Il évoque son grand âge certes, mais toujours avec humour. Surtout, il accepte de parler de tout, de son travail, de son enfance, de sexe, de politique. Et d'Indignation aussi, son dernier livre traduit en français. Le narrateur, cette fois, s'appelle Marcus Messner. Il a 19 ans, et comme Roth, il a grandi à Newark, la ville du New Jersey. Pour échapper à son père, un boucher casher ultra-protecteur, Marcus change d'université et se retrouve en 1951 sur un petit campus de l'Ohio, en pleine guerre de Corée. La suite ne se raconte pas, mais Roth nous entraîne dans une chronique douce-amère de l'adolescence en des temps agités et une réflexion sur la fatalité de l'existence.
Vous n’aimez pas parler de vos alter ego. Mais vous semblez partager beaucoup de points communs avec Marcus, le héros d’Indignation ?
Je n'ai pas grandi tout à fait dans ces circonstances-là. Comme Marcus, j'ai grandi à Newark, mais dans un quartier de la classe moyenne. Mon père, qui travaillait dans les assurances, n'était pas r