Faut-il révéler le secret à l'œuvre dans Féroces ? Il s'est passé une chose abominable dans l'enfance de l'homme qui nous raconte ici sa vie. Il avait 4 ans, c'était la nuit, «la nuit du 6 septembre 1952». Il dormait dans le lit de ses parents, parce que la maison était pleine de monde, son propre lit était occupé. On mariait sa tante, une de ces fêtes dont la famille avait le secret. La chose abominable n'est exposée que dans le dixième chapitre du roman, lequel en compte douze, noués comme autant de nouvelles. Mais il est évident qu'elle a imprégné chaque phrase, comme elle a orienté l'existence entière du narrateur. Voici ses pensées devant la lourde boîte style «Tupperware» que le pasteur lui remet après la crémation : «C'était mon père que j'avais entre les mains. C'était la somme ultime de mon histoire avec mon père et je sentais le poids, non seulement de la boîte, mais du passé, le poids de la colère, le poids de ce désastre qu'avait été notre relation. Je croyais pourtant lui avoir pardonné.»
Féroces est le règlement de comptes d'un fils qui se vit comme victime depuis la fameuse nuit. Il attrape l'histoire de ses héros, de ses bourreaux, bref, de ses parents, par la fin, leurs obsèques, leur décrépitude. Ils sont tous les deux morts alcooliques, dans l'état où on peut être quand on meurt de ça. Deux épaves, surtout la mère, dont Robert Goolrick ne nous épargne ni les varices œsophagiennes et gastriques ni le cancer. Le pè