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Critique

Maux du siècle

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Le cahier Livres de Libédossier
Les chroniques de l’historien Tony Judt
publié le 4 novembre 2010 à 0h00

Un jour, ou plutôt une nuit, Tony Judt est devenu un cafard. «Cockroach», écrivit-il dans la New York Review of Books (NYRB), le 14 janvier 2010. Dans une langue qui ignore la peur, il décrit la progression de la sclérose amyotrophique latérale sur son corps : paralysie des muscles, respiration assistée, dérèglement de la digestion. Au moment d'aller au lit, le voici «bandé, myope et aussi immobile qu'une momie des temps modernes, seul dans la prison de [son] corps, accompagné pour le reste de la nuit de [ses] uniques pensées». Tony Judt était historien des idées, universitaire reconnu, personnalité en vue du monde intellectuel new-yorkais. Il est mort le 19 août.

La comparaison avec le cafard, il l'emprunte «bien sûr» à Kafka. Et de fait, cette terrible et ultime transformation de soi est venue clore une vie faite de métamorphoses, guidée par le refus de rester soi-même. Le culte des origines, des racines, de l'identité (nationale, communautaire ou personnelle), Judt n'en avait pas le goût et, en mars, révolté par le «débat» lancé en France, il a pris le temps, sur son lit de douleur, de consacrer une chronique à cette maladie du XXIe siècle : «Identité est un mot dangereux, dont on ne connaît pas d'usage respectable aujourd'hui.» Le sujet, il est vrai, n'était pas nouveau sous sa plume. Déjà, la conclusion d'Après-guerre, sa grande synthèse sur l'Europe depuis 1945, analysait les usages malsains du passé. La m