Marcel Cohen reçoit à son domicile. Il se tient à l'autre bout du divan, choisit ses mots. Puis, l'entretien fini, évoque son admiration pour Reznikoff et Holocauste, un livre constitué des minutes du procès Eichmann, et qui, se réjouit-il, ne contient «pas un mot de son auteur».
Dans Faits, III, un personnage d’écrivain connaît «l’extrême malheur d’avoir perdu un univers où les mots n’avaient aucune place».
Plus on tente de maîtriser le langage et plus on a l’impression que les réalités le désertent. Ce n’est pas contradictoire : la langue s’est mise à parler toute seule. Par ailleurs, si on ne maîtrise rien, on s’enfonce dans le chaos. On peut donc comprendre qu’un écrivain se souvienne avec nostalgie de son enfance, quand la fascination devant une sauterelle ou une fourmi se suffisait à elle-même. C’est ce que je voulais dire dans ce texte. Il y a pire et c’est la rhétorique qu’on nous a enseignée. Elle exige qu’un texte, un livre, un roman, aient un début, un apogée, une fin. Emmanuel Hocquard faisait remarquer que c’est une métaphore de la vie. Cela sous-entend une logique, des certitudes et le fait que nous soyons maîtres de notre destin. Après les désastres des deux guerres, et les crises économiques qui frappent avec la sauvagerie que nous savons, c’est évoquer un état du monde et de notre culture révolu. Enfant, ma vie était très loin d’être tracée. C’est sans doute pourquoi il m’a toujours semblé que la forme brisée était la moins mensongère.
Des formes, non seulement brisées mais, souvent aussi, courtes…
L'avantage des textes courts, c'est qu'il est difficile d'en faire un résumé qui ne soit pas plus long, et on ne risque pas de s'endormi