Wilhelm Genazino aime attribuer à ses personnages des métiers ou des projets de métiers bizarres. Dans la Stupeur amoureuse, il était question d'un spécialiste de l'Apocalypse, animateur de séminaires très courus. Dans le dernier roman traduit en France de l'écrivain allemand, son narrateur est un philosophe, contraint, par l'étroitesse du marché du travail, à œuvrer en tant que directeur d'une société de buanderie, qui rêve à une situation autre : «Dès que l'école de l'apaisement sera fondée, je ferai des conférences sur l'édification du bonheur dans des environnements éloignés du bonheur. C'est ma nouvelle spécialité.»
Le titre intrigant et beau du livre, le Bonheur par des temps éloignés du bonheur, trouve ainsi un début d'explication page 91. En attendant, voilà donc un philosophe, courant d'hôtel en hôtel pour décrocher des marchés de linge à blanchir. Mais ce bon connaisseur de Heidegger remplit son emploi en pilotage automatique, il continue de penser, rêver les yeux ouverts et mener des expériences existentielles minuscules, comme observer pendant de longues minutes un gâteau oublié sur un toit de voiture, en attendant le moment où quelqu'un se l'appropriera pour l'engloutir.
Pain noir. Autre expérimentation : suspendre sur le balcon son pantalon usé, jusqu'à ce que décomposition et charpie s'ensuivent, pour mieux sentir l'écoulement du temps et peut-être la vanité de la vie. Au début, sa compagne, Traudel, directrice d'agen