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Libération
TRIBUNE

Céline abject et sublime à la fois

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par Michel Crépu, Ecrivain directeur de la Revue des deux mondes
publié le 26 janvier 2011 à 0h00

Naturellement, il était grotesque d'envisager une «célébration nationale» de Céline. On imagine sans peine la version qu'en eût donnée Céline lui-même, à grand renfort de sapeurs pompiers et de garde républicaine, un morceau d'anthologie digne des pages les plus ébouriffantes du merveilleux Guignol's Band. On entend d'ici l'auteur du Voyage ricaner dans sa tombe.

On en rirait encore si Céline n'était pas, avec Proust, le plus grand écrivain français du XXe siècle. Cela fait que la volte-face du ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, ne porte pas seulement sur les modalités d'un anniversaire (célébration ? commémoration ? dénégation ?) mais sur la relation que nous entretenons, aujourd'hui en France, à une œuvre majeure dont il faut bien voir qu'elle n'est en réalité pas lue dans sa totalité, loin de là. Non seulement parce que les fameux pamphlets antisémites (les Beaux Draps, l'Ecole des cadavres, Bagatelles pour un massacre) continuent absurdement de circuler sous le manteau au lieu d'être publiés avec le reste de l'œuvre et puis parce que l'admirable édition Pléiade par le professeur Henri Godard des derniers grands romans (notamment l'extraordinaire Féerie pour une autre fois) est à peine enregistrée. Et ne parlons pas de la correspondance, un récent volume entier en Pléiade…

Au sujet des maudits pamphlets, il est, hélas, inexact de dire qu’ils sont moins bons que le reste : le génie langagier de Céline y éclate partout,