«Ce qui pétrifie, dans l'expérience du déportement des Africains vers les Amériques, sans doute est-ce l'inconnu, affronté sans préparation, ni défi. La première ténèbre fut de l'arrachement au pays quotidien, aux dieux protecteurs, à la communauté tutélaire.» Au début de Poétique de la Relation (1990), Edouard Glissant dressait un saisissant tableau de l'esclavage comme une succession de gouffres : le gouffre des cales où l'on vous entasse avec 300 hommes dans le vomi et les agonisants ; le gouffre de la mer où l'on vous jette par-dessus bord ; le gouffre de l'adieu irréversible à votre terre natale.
Ces pages peuvent être, parmi d'autres, une façon d'entrer dans la pensée de Glissant, d'entendre sa voix, de se laisser imprégner par ce «Tout-monde» qu'il ne cessa de porter.
Philosophe, écrivain, Edouard Glissant est mort hier matin, à l'âge de 82 ans. Figure majeure de la littérature antillaise, il s'était fait le théoricien et le propagateur des concepts imagés, qui étaient autant d'étendards programmatiques d'un monde dont le cœur ne serait plus dans le vieil Occident, mais dans ces «archipels» où se brassent races, cultures, langues, projets politiques. «J'appelle créolisation la rencontre, l'interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-terre». Fruit«imprévisible» de l'expérience noire, la «créolisation du monde» doit aussi s'entendre comme un r