Qui se souvient, vingt ans après sa disparition, de ce visage anguleux, de ces cheveux courts, de cette expression réfléchie qui se dégage de la photographie de couverture ? Elle donne un visage à un nom, lui aussi peu - ou pas - connu du grand public, alors que le pluriel du titre annonce la richesse de cette vie, dominée par la figure de l’intellectuelle. Voilà une identité peu aisée à construire et à faire accepter au féminin. Du siècle dernier, seule Simone de Beauvoir, dont Colette Audry fut proche, est parvenue à s’inscrire comme telle dans les mémoires.
Ainsi est posé le propos de cette biographie, thèse de l'auteure, productrice déléguée de l'émission la Fabrique de l'histoire (France Culture) : comprendre l'histoire d'une intellectuelle en se focalisant sur l'articulation entre pensée théorique et pratique militante. Cette perspective rend compte «des cadres de la sociabilité intellectuelle, avec ses pratiques et ses rites d'initiation, ses réseaux d'influence et ses agents de circulation des idées» ; elle révèle la complexité des mouvements intellectuels et politiques et éclaire une époque que l'on croyait, de par sa proximité, bien connaître.
Ecriture. Née d'un père préfet et d'une mère désireuse que ses filles soient indépendantes grâce à leur métier, Colette Audry est de cette génération féminine formée par l'école normale de Sèvres ; mais la jeune fille se démarque de ses compagnes, fidèles à leur seule mission d'enseignantes