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Libération
Critique

Une Russie de sucre et de sang

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Des nouvelles de Vladimir Sorokine, démembreur de la langue, sur la vie quotidienne en 2028 à Moscou
publié le 14 avril 2011 à 0h00

La violence russe pèse sur la langue comme un bœuf sur le toit. Sorokine raconte la pression. Il le fait, de livre en livre, sous forme de satire expérimentale : il déconstruit le langage pour révéler la nature du pouvoir. Il le fait en écrivant des romans, des nouvelles, qui sont des performances. La langue est soumise, tordue, enflée, déformée, dégradée par les tenailles du maître. Il peut s’agir de la langue de Tolstoï, de Nabokov. Il peut s’agir d’une langue plus ancienne encore. Elle est reproduite, pastichée, ridiculisée, défaite par le kitsch de l’Etat et le vide des consciences. Elle finit à la décharge, comme une marionnette démembrée. Le gel recouvre tout. Si on veut se faire une idée de la sensation que provoquent ces romans, il faut imaginer une ruche de frelons agressifs, mots et actes, qu’un pompier passe, avec virtuosité, à la neige carbonique. Le résultat est une bombe glacée et un essaim de frelons morts.

Samizdat. Une nouvelle du Kremlin en sucre, son nouveau livre,raconte une séance de torture. On est en 2028 à Moscou. Le ton est celui des conversations maïeutiques entre O'Brien et Winston Smith dans 1984. Le bourreau doit faire avouer à sa victime qu'elle a écrit un texte satirique, un samizdat : le Tisonnier. C'est l'histoire d'un vieux tisonnier qui, fatigué de remuer les cendres dans un âtre, fuit son foyer et accepte un travail excitant, de tout repos, au service des «opritchniks». Les opritchniks forment une police secrèt