«Ça me faisait plaisir de sauver la vie aux Juifs. Mais les gens voient ça de travers. Vous savez vous-même où on vit, alors dites-moi, combien il y a de gens à qui ça plairait que j'aie gardé des Juifs ? Un sur dix, et je dois compter large. Il faut se dire honnêtement que si on a un Juif pour ami, on a les Polonais pour ennemis.» Encore aujourd'hui, Antonina Wyrzykowska ne dit jamais qu'elle a sauvé sept Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale à Jedwabne, petite ville dans le nord-est de la Pologne. Il a fallu toute la persuasion d'Anna Bikont pour qu'elle l'«avoue». Elle a d'ailleurs reçu la médaille du Juste pour cela. Mais sa fille, antisémite, l'a jetée à la poubelle. «Et c'est tant mieux, dit-elle, de toute façon il n'y aurait eu personne à qui la montrer.»
Durant quatre ans, la journaliste-écrivain polonaise Anna Bikont a enquêté sur le pogrom de Jedwabne, longtemps oublié de l'histoire et «révélé» à nouveau en 2000. Le 10 juillet 1941, 1 500 Juifs - quasiment toute la communauté de la petite ville - ont été traînés sur la place du marché, battus et certains tués, obligés d'arracher les herbes entre les pavés en chantant «la guerre est à cause de nous» et de porter la statue de Lénine déboulonnée, symbole honni laissé par l'armée Rouge. Puis, poussés par des Polonais équipés de pieux, de bâtons et de couteaux, ils ont été conduits dans une grange à laquelle on a mis le feu et ont péri brûlés vifs.
Pendant cinquante ans, le massacre