Tout dans ce roman tourne autour des échiquiers, des grands maîtres, des tournois, et pourtant le lecteur est immédiatement pris, même s’il ne s’est jamais intéressé aux échecs et qu’il n’a aucune idée de ce qu’est une ouverture sicilienne ou une défense Benoni.
Piliers. Le narrateur est un grand maître au seuil de la vieillesse qui participe sans doute à son dernier tournoi. Alors qu'il affronte ses adversaires, russe, angolais, azéri, lui reviennent des moments de sa vie, des histoires d'ambition et d'exil, de femmes et d'enfants qui se sont éloignés à des années-lumière, de géopolitique et de guerre froide ; le narrateur est russe et les échecs ont été un des piliers culturels et politiques de l'URSS. Le grand maître raconte les 32 tables de l'aire de jeu délimitée par un cordon, et le silence qui, «pour plusieurs heures, prend possession des lieux».
Tout a commencé à Kazan, dans les années 40, quand le père du narrateur lui a appris les échecs par conformisme politique. Membre du Parti, il «veillait à respecter la ligne officielle jusque dans ses loisirs». Le régime avait transformé l'attachement des Russes pour les échecs en un véritable projet soviétique. Le jeu permettait «d'exalter tant la démarche scientifique censée sous-tendre la société nouvelle que les valeurs de détermination et de ténacité supposées être l'apanage des bons révolutionnaires». La voie du garçon est tracée : statut de «sportif d'Etat», adhésion au Parti,