Si les dieux du Panthéon indien ont un plat de prédilection, c'est sûrement le rogan josh. Une préparation d'agneau, longuement cuit, avec d'innombrables épices. Il faut surtout ne pas le gâcher par l'addition d'une tomate, sa couleur rouge typique lui étant donnée par des piments et le mawal, une fleur himalayenne. La recette a été apportée il y a fort longtemps par les empereurs moghols qui s'emparèrent du Cachemire. Ce pays, à cause de son climat heureux, de la rude mansuétude des paysages et d'une certaine douceur de vivre, fut aussi le pays des dieux, ou, si l'on croit ce qu'en disaient les guides touristiques ampoulés de jadis, un «paradis sur Terre». Mais aujourd'hui, à cause de la folie des hommes, le paradis est devenu l'enfer.
Douce-amère. Car c'est au Cachemire que l'Inde et le Pakistan continuent de s'affronter, se disputant cette province depuis 1947, se livrant à la guerre la plus haute et la plus froide du monde sur le terrible glacier de Siachen aux portes de la demeure des dieux. C'est précisément sur cette montagne tragique qu'est mort en héros le père de Kip, le narrateur de Chef. Mais le fils n'a jamais eu la fibre militaire. Il a préféré la toque et est devenu un bon chef de cuisine au service des officiers. S'il revient aujourd'hui au Cachemire, qu'il a fui quatorze ans plus tôt, c'est à la demande du général Kumar, le chef des forces indiennes, qui lui demande la faveur de cuisiner le repas de noces de sa fille unique.