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Libération
Critique

Le plein d'obsolescence

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Le cahier Livres de Libédossier
Günther Anders et les loisirs de masse
publié le 9 juin 2011 à 0h00

L'un demande : «C'est quoi, Günther Anders ? - De la philosophie allemande de la technique, répond le second. Genre Heidegger ou Adorno, en plus apocalyptique.» «Ç'a été le mari de Hannah Arendt», ajoute le troisième, qui a tout compris à l'évangélisation des foules par le pipole.

Comme cette partie est la moins croustillante de Günther Anders (Breslau, 1902-Vienne, 1992), expédions-la vite. Günther Stern (de son vrai nom) et Hannah Arendt se marient en 1929, mais un malentendu intime combiné à un différend idéologique face au nazisme (lui marxiste, elle sioniste) a raison de leur ménage en 1937. Ils s'étaient rencontrés à l'université, unis par un même amour (ou presque) pour Heidegger, Husserl et Jaspers. Assez tôt, Anders reprocha cependant à Heidegger «de considérer l'homme comme un être enraciné» plutôt que de faire de sa mobilité un existential. Arendt, elle, restera fidèle au moustachu à la hutte. La vie de Günther Anders sans Arendt n'en est pas moins passionnante. Issu d'une famille qui, comme souvent à l'époque, place son nationalisme germanique avant son judaïsme, il fait partie de ces intellectuels s'éveillant juifs aux cris du nazisme. Anders a raconté (entre autres dans un entretien, en 1979, intitulé «Et si je suis désespéré, que voulez-vous que j'y fasse ?») que son père, célèbre psychologue spécialiste de l'enfance, ne croyait pas qu'une horreur telle que l'affaire Dreyfus pût exister dans son pays. Ses illusions détruites