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Libération

Asie centrale : les pions du Grand Jeu

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Le conflit colonial russo-britannique du XIXe siècle raconté à travers les odyssées de ses acteurs, officiers et espions.
publié le 11 juin 2011 à 0h00

Ces deux gueux en haillons, affamés, crasseux, couverts de plaies et de vermine, qui viennent de creuser leur tombe et s’agenouillent dans la poussière face au palais de l’émir de Boukhara un matin de juin 1842, qui peut imaginer qu’il s’agit de brillants officiers de Sa gracieuse Majesté ? L’un d’eux est le colonel Charles Stoddart, qui a déjà passé trois ans dans une oubliette immonde. L’autre, venu à sa rescousse, est le capitaine Arthur Conolly, auteur précisément de l’expression «le Grand Jeu», que Rudyard Kipling rendra immortelle bien plus tard.

Tous deux auront la tête tranchée, et leurs tombes sont toujours sous la place, oubliées, foulées par les touristes ignorants qui affluent dans la capitale de l’actuel Ouzbékistan. Tous deux, parmi tant d’autres, ont payé de leur vie leur engagement dans ce conflit qui se déroula sur près d’un siècle, sur un théâtre à l’échelle d’un continent, du Caucase aux tribus cruelles jusqu’au brûlant Turkestan chinois et au Tibet glacé.

Les livres traitant de géopolitique sont souvent pesants. Pas le Grand Jeu de Peter Hopkirk, ancien directeur du Times. Lui a pris le parti de raconter ce «tournoi d'ombres» à partir des odyssées de ceux qui se sont risqués sur la scène de cet échiquier grandiose qui vit s'affronter la Russie tsariste et la Couronne britannique. Raison du conflit : l'empire des Indes, Londres soupçonnant Moscou de vouloir trop s'en approcher. D'où la nécessité d'arrêter la progression des armées