Traduire, c'est trahir l'inhumanité. Elena, une jeune femme de Rjev, ville sur la Volga quasiment détruite pendant la bataille qui porte son nom, a appris un peu d'allemand. En 1942, à 23 ans, la voilà au front. Les interprètes sont rares : «Ce n'était plus la Première Guerre mondiale, où les officiers eux-mêmes parlaient couramment la langue de l'ennemi.» En Russie stalinienne, l'allemand était devenu honteux. Maintenant, les germanophones sont indispensables. Il faut déchiffrer les documents saisis, interroger les prisonniers. Elena interroge son premier Allemand à l'hiver 42 : «Il était assis là, maigre et âgé, dans un uniforme ennemi, Karl Steiger, c'était son nom je crois, et il représentait quelque chose d'effrayant, d'insaisissable. Un prisonnier.» L'hostilité les rend muets. Soudain, l'homme dit un mot, «non sans effort» : «dynia». En russe, melon. La famille de Steiger était lituanienne, le mot et la chose lui sont restés. «Dynia ist gut, sehr gut !» dit le prisonnier. Elena traduit. «Et la guerre ?» demande le commissaire politique. «Dynia. Dynia ist gut», répète l'autre, «comme si ce mot russe pouvait nous rapprocher». Et, de fait, pendant quelques instants, il rapproche.
Grands froids. Un autre prisonnier, ailleurs, voulait devenir naturaliste, comme Ernst Jünger. Il répète un mot, «Schmetterling», qui signifie papillon. Autour, c'est l'enfer. Le seul lieu dont l'humain n