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Critique

Un temps à se dégeler

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Le cahier Livres de Libédossier
Une fille cryogénisée, une ville qui fête la mort d’une vieille dame… nouvelles de Maria Judite de Carvalho
publié le 23 juin 2011 à 0h00

Tout ici est question de voix. Celles que les petites saintes entendent, peut-être, ou qui traversent les cerveaux chez Virginia Woolf, comme on dit qu'un appartement est traversant, lambeaux de paroles ou lames de mots : «Quelques jours plus tôt, Paula lui avait dit (une fois de plus) que ce n'était pas une vie, et elle lui avait répondu (une fois de plus) que c'était vrai, mais qu'on n'y pouvait rien.» Il n'y a guère d'action dans les récits de Maria Judite de Carvalho (1921-1998), seulement un discours qui se développe, s'en prend aux personnages, non pas à coups de bec comme chez Thomas Bernhard, mais en les embrassant, les poussant des coudes pointus de ses interruptions - «(une fois de plus)» - ou les propulsant hors de leur siège par une brusque marche arrière sans embrayage - «que c'était vrai, mais qu'on n'y pouvait rien».

Taxi. La phrase citée ouvre le court récit Paysage sans bateaux (1963). Dans Ces mots que l'on retient (1961), une femme, Graça, accablée de souvenirs coupables se glisse à la dernière page dans un taxi, mais «ne veut aller nulle part, elle veut seulement être là». Bientôt, pourtant, elle devra indiquer une direction au chauffeur : «A un moment donné, dans cinq minutes, dans dix minutes au plus, il lui faudra se matérialiser de nouveau, ouvrir la bouche, dire "je descends ici" ou "arrêtez-vous au bout de la rue".» Dans Paysage sans bateaux, il n'est pas rare qu