Emmanuel Carrère n'est pas pour rien l'auteur de D'autres vies que la mienne, son précédent livre chez P.O.L. Depuis l'Adversaire (2000), il construit des formes littéraires où sa propre trajectoire croise celle de personnages à la fois bien réels et éminemment romanesques. Avant Limonov, il a publié une première biographie, Je suis vivant et vous êtes morts : Philip K. Dick, 1928-1982 (Le Seuil, 1993). Dans ce livre, écrit à l'imparfait et au passé simple, les apartés personnels étaient encore très rares. Emmanuel Carrère s'effaçait derrière son sujet. Mais il proposait déjà au lecteur, comme «discipline mentale», de «suspendre notre jugement». C'est la même proposition, aujourd'hui, avec Limonov, même si la chose à juger diffère. Contrairement à Philip K. Dick, Edouard Limonov n'est pas fou du tout. Sont en cause son attitude et ses actes. Emmanuel Carrère écrit : «Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement.» De temps à autre, le romancier français évoque ses origines bourgeoises, ses propres débuts d'écrivain et ses aspirations personnelles afin de mieux faire comprendre les excès et les tourments limonoviens.
Limonov, né en 1943, a trois ans de moins que le futur poète Prix Nobel qu'il exècre, Joseph Brodksy, émigré aux Etats-Unis, et quatorze de plus qu'Emmanuel Carrère. Graine de voyou, fasciné par les criminels, il devient poète, f