Lentement et sûrement, l’histoire du génocide des Juifs rejoint le domaine de la fiction. La fiction ne relaie pas la mémoire, mais l’accompagne et la transforme. Elle devient une autre forme de l’expérience. Un romancier suédois de 53 ans, Steve Sem-Sandberg, conte aujourd’hui la tragédie du ghetto de Lodz, en Pologne, et de son président-dictateur, Chaïm Rumkowski, qui fut déporté à l’été 1944 vers Auschwitz dans le dernier convoi. On lui avait promis un wagon particulier, qu’il n’eut pas.
Ce vieux marchand de velours sans enfant avait fait faillite au début du siècle, refait fortune en Russie avant d’être ruiné par la révolution de 1917, d’où sa frustration et sa haine des communistes. Quand les nazis forment le ghetto, il comprend leur mentalité : ces gens ne veulent pas entendre parler des Juifs comme d’individus, mais comme d’une masse dont la survie n’est tolérable que si elle fournit des esclaves. Il fait régner un ordre ubuesque mais protecteur, développe une ombre de politique sanitaire et autorise une chronique collective dont les milliers de pages rescapées permettent aux historiens d’avoir une vision précise de ce que vécurent ici les gens. Des milliers de portraits ont été écrits, mais celui de Rumkowski a disparu. Les nazis ont détruit les archives qu’ils ont trouvées. Sem-Sandberg ne se contente pas d’avoir lu ces textes : il les insère dans son récit comme on fait de la marqueterie - mêlant le document à la fiction. C’est ce qu’on appelle à la télé un docu-fi