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Libération
Critique

Le ghetto in vivo

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Les archives de Varsovie
publié le 29 septembre 2011 à 0h00

Dès octobre 1939, Emanuel Ringelblum, un jeune historien, entreprit de rassembler l’ensemble des documents qui concernaient le sort des Juifs polonais confrontés aux tourmentes de la Seconde Guerre mondiale. Regroupant une soixantaine de bénévoles, son réseau, Oyneg Shabes («Joie du Sabbat»), collecta des documents bruts, sollicita des entretiens, recueillit chansons et blagues et mena, auprès surtout des habitants du ghetto de Varsovie, de grandes enquêtes. Professeur de lycée, militant du parti marxiste révolutionnaire Poaley Tsiyon, Ringelblum avait toujours considéré que l’historien devait assumer un rôle social. A ses yeux, l’histoire permettait de doter les Juifs d’une identité, de lutter contre les préjugés antisémites par les faits et de réduire le fossé séparant les intellectuels du monde de l’usine ou de l’atelier.

Ces principes guidèrent la création d'Oyneg Shabes afin, au départ tout du moins, de retracer l'expérience juive de la guerre. Persuadé que la communauté survivrait au conflit, il entendait refonder son identité par et sur l'histoire, ce qui aiderait tant à redéfinir les rapports entre Juifs et Polonais qu'à doter le judaïsme d'une dimension refusant de se réduire au sionisme ou à la religion. Encore fallait-il suivre une démarche de vérité. Ringelblum adopta une méthode qui, excluant le pathos, entendait s'en tenir aux faits dans un ghetto où l'héroïsme le disputait au sordide. Exaltant le rôle tenu par les femmes, dont le courage et l'abnégation le stup